Sa dernière œuvre, le superbe Hypnolove, est l’un des clips de l’année, réalisé avec sa petite amie, Bianca. Mathieu Tonetti a de l’or dans l’objectif. Esthétique psychédélique, ultra référencée. Narration sibylline et envoûtante comme une incantation chamanique.
Quand on regarde les clips du réalisateur, on se dit « ce mec a quelque chose. »
Et vous nous connaissez, dans ces cas là, on passe un coup de fil.
Rendez-vous est pris avec Mathieu Tonetti. La voix est douce, attentive et précise. Le contraire de ce que laisserait penser son visage mangé par une barbe hirsute.
Un paradoxe d’emblée, nous voilà comblés.
Deux heures de discussion où notre seul souci sera de le voir partir en réflexion cosmogonique quelque soient nos questions. Mais est-ce vraiment un soucis ?
On a réalisé une centaine d’interview pour apar, tu es le premier à nous donner un numéro de fixe pour te joindre ?
Je n’ai pas de portable et j’ai perdu mon Tatoo. Chaque fois que j’ai un portable, je le perds ou je le casse. Et puis, c’est chronophage. Je passe mon temps dessus dès que j’en ai un.
Ceci étant dit, quel est ton problème avec la réalité ? Tu détournes toujours les images, les couleurs, les thèmes. C’est quoi ton soucis avec la réalité ?
Tu mets une paire de godasses, il y a toujours un caillou dedans. Tout est toujours un peu décevant dans la réalité. Tu te réveilles, déjà, il faut quitter ses rêves. Tout est trop parfaitement réel dans la réalité. La vision que l’on se fait de la réalité est toujours plus belle.
Le couple le plus amoureux du monde, ce sera toujours Roméo et Juliette, pas moi et ma nana. La réalité est un peu ennuyeuse.
Jeune, j’ai pris un peu d’acide, et j’ai réalisé que la réalité est un simple point de vue. La réalité, c’est nos 5 sens. Cinq meurtrières qui dessinent une prison.
Dans une interview, tu disais avoir été très malade également…
Oui, j’habitais en Indonésie à l’époque, je devais avoir 12 ans et j’ai contracté une malaria cérébrale, la forme la plus grave. J’ai dépassé les 42 de fièvre et j’avais des hallucinations. Je voyais d’énormes boulettes de viande qui obstruaient la porte. Je ne vois aucun argument pour me prouver que ces boulettes n’étaient pas réelles.
Tu parlais d’une réalité ennuyeuse. Est-ce que ce n’est pas la genèse de l’art ? Un homme s’ennuie de la réalité et se met à créer pour l’embellir.
Un essai pour restituer une vision du monde en tout cas. Pour notre dernier clip, avec Bianca, on écrit d’abord, c’est simple, sans arrière pensée. Le sens vient après. Au final le clip raconte quelque chose qui me tient à cœur.
C’est assez discret, mais presque dans tous tes clips, il y a des femmes nues.
Je ne m’en suis pas rendu compte. Mes potes m’appellent Dirty Matt.Ils disent à tout le monde : « si tu veux un clip avec du cul, tu demandes à Dirty Matt. »
J’ai grandi dans les 70’s et les 80’s où tout était permis, donc j’ai été marqué par les possibilités qu’offraient le cul.
Le corps d’une femme c’est aussi l’esthétique absolue. Une courbe unique qu’on pourrait dessiner sans lever le stylo.
Complètement. La femme c’est l’œuvre d’art. D’où la fascination. Je pense que l’amour est une invention de l’homme pour justifier la procréation.
Air, Phoenix, Sébastien Tellier… et Demis Roussos. Comment tu te retrouves à réaliser un clip pour lui ?
À l’époque, Demis voulait faire son come back et il fait appel à Sébastien Tellier pour lui composer une chanson. La chanson n’a pas été retenue au final, mais elle était magnifique. La fille de Demis bossait avec mon producteur, il nous a mis en contact.
Tu as collaboré à de nombreuses reprises avec Sébastien Tellier. On a l’impression que vos univers se correspondent réellement, naturellement.
Avec Sébastien, on s’est rencontré vers 16 ans et on ne s’est pas quitté jusqu’à 22 ans. On était tout le temps, tout le temps ensemble. Une amitié passion. On fumait des oinj, on prenait des acides, on regardait la télé et on parlait de Nietzsche. On arrêtait pas de parler, tout le temps.
Parlons d’Hypnolove. L’esthétique est superbe, la narration est époustouflante. Plusieurs histoires en parallèles, plusieurs niveaux de lecture, un montage très réussi, un dernier plan qui contient tous les écrit de Freud.
Je ne voulais pas que le montage aille trop vite, qu’on zappe sans cesse. Pour une fois que j’avais une vraie narration, avec un début, un milieu et une fin, je voulais prendre mon temps, m’arrêter sur des détails.
Après, j’aurai presque préféré que le clip soit moins facile à comprendre, plus mystérieux. On en revient au souci de réalité. J’aime quand c’est flou, quand c’est lointain.
En fait, quand les choses sont trop nettes, c’est là que se trouve l’illusion selon toi ?
Je crois que tout est vrai et son contraire. J’adore la science. Par exemple, la physique quantique, je ne suis pas un expert, mais l’expérience italienne où un unique photon est projeté à travers deux fentes pour imprimer une plaque sensible, et où ce photon passe par les deux fentes exactement au même moment… sauf lorsqu’on l’observe, là il décide de passer par l’une des deux seulement… (les Fentes de Young, ndlr)
La conviction crée l’illusion. Aujourd’hui, notre époque est pornographique et obscène.
Dans Hypnolove ou dans Alpha Beta Gaga de Air, tu as une narration presque classique. Dans d’autres clips, une narration alambiquée et une forte esthétique. Comment jongles-tu entre narration et esthétique ?
Avant, je voulais seulement montrer l’esthétique de mon univers. Mais en même temps, c’est épuisant de renouveler une esthétique.
Aujourd’hui, je pense que l’esthétique doit être au service du thème qu’il embrasse. J’ai un goût esthétique assez sûr, donc, à mon avis ça ne me posera jamais de soucis. Je pense que Universe, c’était un manifeste esthétique, j’aurais pu arrêter après.
Mais l’idée c’est quand même de faire un long métrage.
Dans une interview à Brain, tu disais que « la photo, c’est comme la pêche.«
Sur un tournage, tu as 3 assistants, 40 personnes, qui te posent sans cesse des questions. Pour savoir si les nœuds des lacets sont comme il faut, les couleurs, tout. J’adore ça. Mais de temps en temps…
Je suis allé très peu à la pêche, mais ce sont les seuls moments où tu t’écoutes, au calme.
À l’époque, j’étais à Los Angeles, je fuyais un film qui était en train de capoter. Je me suis payé une Cadillac de folie et je prenais des photos avec mon iPhone. Je me suis offert mon rêve américain. J’allais à la pêche aux images.
Tu as co-écrit deux chansons pour Sébastien Tellier. On le sait peu. C’est important l’écriture pour toi ?
J’écris moins de chanson en ce moment, j’écris plus des pitchs, des scénarios, des notes d’intention. Mais j’ai toujours un carnet sur moi. Un beau carnet où je dessine, je fais des croquis, j’écris.
Tu penses en images ou en mots ?
Je réfléchis en images… enfin, non. Ça dépend en fait. J’adore les mots. Depuis gamin, j’ai une passion pour la grammaire, l’orthographe. Je trouve que les mots ont une vie propre.
Tu maîtrises les mots, tu maîtrises ton environnement.
Au commencement était le mot et à la fin sera l’image. De la merde, quoi.
Enfin, je ne sais pas ce qu’il y aura à la fin, mais ce sera bien débile.
Clip, ciné, écriture, dessin, photo… qu’est-ce que tu as au fond de toi qui nécessite autant de support pour s’exprimer ?
C’est parce que je suis un musicien raté. En fait, je pense que je suis un raté.
Quand t’es Tellier, un génie de la musique, tu vas pas te faire chier à prendre des photos. Moi, je ne suis un génie en rien. Mais je ne désespère pas d’enregistrer un projet musical.
Mon vrai but, ça reste de faire un film. Pour le moment, tout ce que je fais n’a aucune importance. Si je meurs demain, personne ne se rappellera de mes clips.
Si je suis partout, c’est un peu par peur de mourir.
Par peur de mourir ou par peur de ne pas vivre ?
Par peur de ne pas vivre. J’ai peur de ne pas voir. De ne pas assister à la suite. Mais j’ai aussi peur de mourir.
Il y a quelque chose après ?
Non.
C’est de l’anthropocentrisme de croire en l’au-delà ou en un Dieu créateur ou qu’on aura notre fantôme qui hantera la terre. Je ne suis pas athée non plus, je trouve que l’athéisme s’approche de la bêtise.
J’ai vécu des trucs bizarre quand j’ai grandi en Malaisie, j’ai été élevé pendant quatre ans par une sorte de sorcière.
Mais je ne crois pas pour autant à la vie après la mort.
C’est le principe de la théorie de la relativité. L’observateur est le centre de l’univers. De fait.
Quelles sont tes références ?
Mes références, ce sont la liberté et la beauté.
Mais la première fois que j’ai vu quelque chose en ayant conscience que c’était un chef d’œuvre, c’était Et pour quelques dollars de plus, de Leone. Grosse référence.
Apocalypse Now aussi. Les films d’Herzog. J’aime bien les trucs un peu fou.
Leone a une image très proprette, alors que ses films acceptent de multiples niveaux de lecture.
Oui, on ne dit rien, parce que c’est un maître. Comme Fellini. C’est tellement maîtrisé.
J’aime bien les accidents, les défauts. En musique ou chez une femme. Leone, c’est très maîtrisé, mais ce n’est pas au cordeau. Et puis, c’est un classique aujourd’hui, mais à l’époque, c’était révolutionnaire.
J’adore Lynch aussi. Et Scorsese, surtout After Hours, son meilleur film selon moi.
Avec Seb, on a énormément écouté les Floyd. Ça a du compter aussi. Certainement.
Et en littérature ?
Ma référence absolue, c’est Gabriel García Marquez. Franck Herbet aussi. Dune, c’est un chef d’œuvre. Et Victor Hugo.
Mais Gabriel García Marquez… si je fais un long métrage, j’aimerai me situer dans ce courant du réalisme magique.
J’aime aussi les auteurs américains, comme Bret Easton Ellis. Ou le gonzo.
Toutes tes réponses, dans cet entretien, étaient un peu mystiques. Une recherche de sens dans le flou. On en revient à notre première question et cette réalité que tu trouves décevante. Elle manque peut-être de sens pour toi ?
Aujourd’hui, rien ne va parce que rien n’a de sens. C’est un effet secondaire de notre évolution. Par exemple, la liberté sexuelle, c’est une bonne chose, mais ça a mené à la pornographie actuelle.
On manque de sens. Je crois. Tout est vrai et son contraire de toute façon.