Woody, tu sais, je t’aime. D’abord et avant tout j’aime ton prénom. Il évoque l’enfance, j’ai l’impression de sauter dans une piscine à balles en plastique à chaque fois que je le prononce. Tu me fais rebondir. De joie. Voilà, Woody tu me mets en joie. Je pense à toi chaque mois. Depuis toute petite. Je t’imagine jouer de la clarinette seul chez toi. Regrettant un peu d’être né juif. Regrettant tes montagnes de névroses. Tu vas mourir bientôt. Tu as l’air de t’en moquer. Tu as tout fait. Jusqu’à te marier avec ta fille adoptive. Quesque je l’envie cette petite. Elle est bien la seule à pouvoir transgresser légalement le malaise de la civilisation. Plus personne n’a de père. Ça a du te choquer. Ta réponse a été, aux yeux du monde, de te marier avec elle. Je ne t’imagine pas lui faire l’amour. Ton phallus à toi il c’est ta caméra et ta clarinette. Le reste c’est pour le cinéma. Pour ton cinéma. Mais pas vraiment pour toi. Ta vie, c’est sûr, à plus d’allure dans tes films. Parce que je t’imagine mal aujourd’hui dans un diner de famille avec Soon-Yi, ton amoureuse de fille. Qui peut mieux qu’elle tuer symboliquement et tranquillement son père. Elle te voit chaque jour tout nu. Elle pense fêter tes quatre vingt printemps. Ne doit pas savoir quel cadeau t’offrir. Comment faire après t’avoir sans doute donné sa virginité ? Elle ne peut pas aller plus loin que ça. Tu dois t’endormir avant elle. Parfois en cours d’insomnie venir la regarder dormir au milieu de la nuit. J’imagine que vous faites chambre à part, mais côte à côte. Vous avez de l’espace. L’immobilier n’est pas ton problème. Tu as bien trop à faire dans ta relation avec Dieu. Même si à la maison pour Soon-Yi, et depuis le début, Dieu c’est toi. Vous vous aimez. C’est certain. Mais pas de la même façon. Tu es son défenseur, son protecteur, son ami, son père, son amant et son banquier. Tu es l’homme complet alors que tu n’as jamais fais plus de soixante kilos sur la balance. Aujourd’hui c’est même pas dit que vous ne faites pas le même poids.
On ne se rencontrera jamais. Tu ne me feras jamais tourner. Quelque soit le sens que j’entends donner à ce verbe. Tu l’aimes elle, et seulement elle. Soon, veut dire chez moi « bientôt », chez toi aussi sans doute, tu dois connaître un peu le français à force, à chaque fois que tu l’appelles c’est une promesse de bonheur qui s’amorce. Et ça te fera tenir jusqu’à la fin. Elle n’est pas jalouse. Alors que tu fais jouer les plus belles femmes du monde. Puisqu’elle a ce qu’aucune autre ne peut s’inventer. La filiation. Qu’elle soit visible ou non dans l’adn. Vous êtes liés sur le papier et dans les astres. Mais malgré cela, je t’aime. Je ne peux faire autrement. Peut-on faire autrement quand on a un coup de foudre. Même si la foudre tombe sur un mirage. J’aurais voulu te voir un jour de maladie recroquevillé sur toi, dans des draps mouillés de transpiration. J’aurais voulu t’apporter tes cachets. Te soigner. Ça aurait été ma manière de me faire aimer. Je ne t’aurais rien demandé. On aurait peut être fait l’amour une fois. Pour voir ce que ça fait de voyager un demi-siècle dans le passé. Juste une fois. Avec l’aide des cachets, encore une fois, que j’aurais pris soin de te préparer. On aurait fait l’amour de façon médicalisée. Sous surveillance. Sous ma surveillance. Tout aurait été sous contrôle. Et même si je doute de mon orgasme avec toi, il aurait finit par advenir si tu m’avais laissé t’appeler papa.
Mais cette place, ce rôle, tu l’as donné à une autre. En même temps je n’ai pas passé le casting. Alors je me rattrape dans un journal. Espérant qu’il sera un jour traduit. Et que, coïncidence sur coïncidence, tu te retrouves à lire ce passage. Et que décidément, malgré les décennies de psychanalyse tu ne comprennes toujours rien au genre humain.
Pourtant c’est clair mon Woody. En tout cas dans mes rêves. On aurait formé le couple le plus scandaleux de l’histoire.
Tu sais le genre de couple dont tu rêvais à tes vingt ans. Ceux que tu n’imaginais pas vivre réellement. Tu sais quand tu te regardais dans la glace en sortant de la douche comme un pauvre fil de fer. Tu essayais de gonfler tes biceps, levant tes épaules au ciel. Tu priais alors pour un monde plus juste, un monde où les hommes poétiques, maigres, roux et chétifs deviendraient les rois du monde pour pouvoir, en espoir, effleurer un jour une jeune première du cinéma. Pour faire l’amour, Woody, tu savais qu’il fallait être un roi quelque part. Tu ne savais pas courir plus de trois minutes, tu te froissais un muscle en changeant une ampoule, tu devais faire un métier les mains dans les poches, tu devais parler, beaucoup, longtemps. Tu devais devenir metteur en scène de toi même. Tu devais faire rire le monde. Alors, et seulement alors, tu allais pouvoir mettre en lumière toutes les femmes dont tu rêvais en sortant de tes douches d’adolescent tourmenté. Tu es à la fin et moi au début de la vie. Alors si l’envie t’en dis, je suis là pour être ta petite fille. Te partager avec Soon-Yi. Qu’est ce qui t’intéresserait plus maintenant que ma jeunesse ? je peux être la dernière gourmandise que tu effleures. Je peux être ton dernier visuel, ton dernier souvenir féminin, ce goût d’air marin printanier, pour ton dernier voyage aux pays des jeunes filles. Woody, comprends moi bien. Je ne suis pas là pour jouer. Ma proposition est sincère. Parce que vitale. Regarde-moi bien au dessus de ce texte, tu vois ce regard que je porte sur toi ? Tu le sens ? Et bien voilà, ne nous mentons pas. La curiosité peut te faire basculer. De mon côté.
Je ne monte pas en pression pour rien. Maintenant j’ai la ferme intuition que tu vas me lire. Je ne sais pas exactement quand. Je ne sais pas exactement où et comment. Mais ce que je sais, c’est que malgré toi tu entendras un air de clarinette qui accompagnera ta lecture au fur et à mesure. Tu prendras de plus en plus de liberté dans ton imagination. Surtout si tu me vois en photo. Pas un homme n’a refusé depuis ma naissance de s’allonger avec moi. Je suis très belle, comme une anomalie de la nature. Tu t’en rendras compte par toi même. Surtout, tu dois savoir que je ne m’offre jamais à personne. On court derrière ma jupe dès ma sortie du lit, c’est ainsi, je le subis. Moi, j’ai toujours fait qu’entendre mon Woody. Les femmes fantasmes sur tes films, moi je fantasme simplement sur toi. Enlever et remettre tes lunettes par exemple comblerait au moins d’une année entière de mon existence. Tu as le pouvoir de me rendre heureuse. Woody, est-ce que tu te rends compte ? Tu ne verras peut être pas les prochaines élections chez toi. Tu ne seras bientôt plus là. Et laisser derrière soi une page Wikipédia c’est bien. Mais laisser une femme heureuse c’est mieux.
Soon-Yi comprendra. Elle doit me lire. Avec toi. Elle sait que ça lui fera aussi du bien à elle. Donc à vous. A nous. Un dernier souffle de plaisir, quelques films et l’envolée sera belle. Fais confiance à une inconnue pour une fois dans ta vie. Je sais que ton vrai nom est Allen Stewart Königsberg. Je sais que Woody est ton pseudonyme. Mais tu vois je l’aime encore plus que toi. Chez moi aussi nous sommes deux. Ne t’inquiète pas. Ça sera encore plus intéressant pour ton exploration. Tu étais bien magicien ? Tu savais faire des tours de carte plus vite que ton ombre ? Tu savais flouer avec talent tout en commençant ton plus beau roman, à savoir ta vie de Woody.
Tout ça pour apporter un café au lit à Diane Keaton ou Mia Farrow. Franchement mon Woody. Ajoute moi là. A la suite. Au moins pour Wikipédia. Pour ma légende. On l’appellera comme ça : Dieu, Woody Allen et moi.