« Si ce fut un naufrage, il était magnifique ! » affirme dans un entretien à l’AFP, Serge Bromberg, co-réalisateur de « L’enfer d’Henri-Georges Clouzot », ou le récit d’un tournage inachevé aux allures de gouffre financier, avec une Romy Schneider fascinante.
Vraie malle aux trésors pour les cinéphiles, ce documentaire qui vient juste de sortir en salle, montre des images inédites, celles de « L’enfer », un film jamais terminé par Clouzot, jusque là jalousement conservées par sa veuve, Inès.
« Comme beaucoup d’autres avant moi, je suis allé la voir pour lui demander l’accès à ces bobines, mais elle était tentée de refuser. Ce n’est que lorsque nous nous sommes retrouvés coincés dans un ascenseur que nous avons pu briser la glace… et elle a fini par dire oui ! », s’amuse Serge Bromberg.
Son film relate par le menu, au fil des témoignages des collaborateurs de Clouzot – parmi lesquels Costa-Gavras ou Catherine Allégret -, le tournage épique d’une superproduction dont Serge Reggiani et une Romy Schneider au sommet de sa beauté à 26 ans, devaient partager l’affiche.
« En 1963, la Colombia avait donné à Kubrick un budget illimité pour tourner Docteur Folamour, et cela avait très bien marché. Ils ont voulu faire la même chose avec un Français nommé Clouzot », explique Serge Bromberg.
« L’enfer » devait raconter la dérive mentale d’un homme jaloux: Marcel Prieur, patron d’un petit hôtel de province, marié à Odette, une très jolie jeune femme.
Clouzot avait décidé de tourner en noir et blanc le quotidien du couple, et en couleurs les fantasmes de Marcel Prieur, à qui les soupçons d’infidélité de sa femme donnent des pulsions de meurtre.
Le tournage en extérieurs au viaduc de Garabit (Cantal) « avec trois équipes complètes a été épique, il mobilisait 400 personnes, une véritable armée mexicaine et il a duré deux semaines et demie », explique Serge Bromberg.
Dans son documentaire, Bérénice Béjo et Jacques Gamblin lisent des scènes, permettant au spectateur de suivre les développements du scénario.
« Nous avons récupéré 185 bobines, soit 16 heures de film en parfait état, mais sans aucun son, à l’exception d’une petite bobine d’essais », précise-t-il.
Annoncé comme un évènement par la presse, ce film fut pour Clouzot un terrain d’expérimentation sans limites.
Au niveau de l’image d’abord, avec des formes géométriques inspirées des tableaux de Victor Vasarely, projetées sur le corps des acteurs, mais aussi du son, où un savant mixage mêle bruitages et musique électroacoustique.
Etonnantes de modernité, les images tournées par Clouzot sont d’une beauté hallucinante. Dans l’une, Romy Schneider est ligotée nue à des rails tandis qu’un train fonce vers elle à pleine vitesse, dans l’autre un éclairage tournant donne à son visage constellé de paillettes un air tantôt doux, tantôt machiavélique.
En moins de trois semaines, Henri-Georges Clouzot finira par exaspérer son équipe par ses exigences illimitées, jusqu’à se brouiller avec son acteur principal, Serge Reggiani, qui désertera le tournage.
« Si ce fut un naufrage, il était magnifique ! Clouzot a pris des risques insensés pour ce film », dit Serge Bromberg.
Terrassé par un accident cardiaque quelques jours plus tard, Clouzot abandonnera définitivement le film, laissant une ardoise de « plus de cinq millions de francs, énorme pour l’époque ».
Quelques images du film inachevé :