« Je suis l’Homme dans la boîte parce que, pour moi, le monde est une boîte, ou plutôt ma propre boîte y est emboîtée de telle façon que je puisse y survivre, par une pure et complète discontinuité, c’est dire à quel point ma boîte revêt une fonction primordiale : elle me permet de vivre dans le monde sans y vivre, elle me permet d’être dans le monde sans y être, ainsi, chaque partie du monde, chaque monde est une boîte emboîtée avec les autres, sauf avec la mienne. Car la boîte dans laquelle je vis est aussi celle que je dois faire vivre en moi, sous peine d’en mourir. Cette boîte dans laquelle j’habite est donc la Boîte qui contient toutes les autres boîtes de mon esprit, et c’est la raison pour laquelle elle vit aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de moi ».
Maurice G. Dantec, dans son roman SF Cosmos Incorporated fait parler un personnage, entre l’homme et la machine qui vit selon des principes techniques et se dénomme « L’Homme dans la boite ». Autrement dit l’homme réduit à une fonction, qui utilise le monde comme un outil, une simple autre boite qu’il utilise comme une relation technicisée en créant une multitude d’autres boites pour hiérarchiser ses relations et se protéger de relations non-maitrisées. Garder le contrôle en vivant dans un monde fermé.
C’est de la science-fiction. Un sujet auquel nombre de penseurs, artistes, réalisateurs se sont essayés, approcher la question du contrôle, de soi, des autres, de la notion du domaine du privé, du « Un » dans une multiplicité de possibilités. La question de l’existence de l’Homme moderne et de sa possibilité de vivre en accord avec les autres en préservant sa spécificité, son caractère d’Homme à l’ère des machines.
Imaginez le film d’Alfred Hitchcock, « Fenêtre sur cour » réalisé à l’ère du digital. Imaginez un monde où les voyeurs ne sont plus les seuls êtres à regarder. Un monde où la moindre action digitale insignifiante pourrait devenir un acte répressible dans un futur proche. Un monde ou le public et le privé se côtoient sans jamais se croiser, un mode où vous n’êtes plus seuls. Jamais. Un monde sans solitude. Un monde où les algorithmes pénètrent vos appartements aussi bien que votre cerveau.
C’est ce que cherche a représenter ce film simple réalisé par Jason Allen Lee, en s’inspirant métaphoriquement de l’acte de surveillance. Ce que nous sommes en privé est désormais la même chose que ce que nous sommes en publi à partir du moment ou nous interagissons avec la technologie moderne, les réseaux sociaux, les jeux vidéos, les systèmes de messageries, ce que nous regardons sur nos ordinateurs, sur quels liens nous cliquons. Bref tout ce que nous découvrons en nous mettant à découvert, digitalement parlant. Par un acte totalement voyeur et illégal, le réalisateur a filmé en cachette des personnes dans leur environnement direct (leur appartement) et indirect (leurs activités digitales). Sans se faire voir il a pénétré passivement leur intimité tandis que les acteurs involontaires du film dévoilaient la leur de manière active sur leurs écrans.
En posant la simple question « qui regarde? » il a créé une œuvre digitale essentielle. A regarder…