Il y a un an, ils étaient 784.269 à s’être rendus au Grand Palais pour admirer la rétrospective Edward Hopper. Peintre réaliste, d’un prolétaire trop longtemps oublié par l’art, alignant les lignes de fuites comme les plus grands classiques, l’artiste avait, comme tous les génies, un siècle d’avance sur les besoin du XXIème siècle. Une normalisation de la beauté criée par les entrailles d’un monde dépouillé de ses fantasmes. Edward Hopper comme un Raymond Depardon sans folklore, débarrassé d’une moralisation écologiste, d’un bon sauvage rousseauiste pesant.
Dans cette image épurée d’effets pour ne pas trahir le sujet, les artistes s’inspirent de tableau où chacun trouve la place de projeter ses propres interprétations. Gustav Deutsch n’a pas pu résister à l’envie de voir bouger ses personnages que l’on connaît, auxquels nous avons créé des vies entières, à la manière d’un Philippe Besson. Le 17 septembre prochain sortira Shirley, un voyage dans la peinture d’Edward Hopper. L’Autrichien y donne vie à 13 tableaux d’Hopper. Le film avait fait parler de lui lors de la Berlinale 2013 mais reste assez discret comme tout objet aussi original. Un ovni dont nous avons rencontré le pilote.
« Si vous pouviez l’exprimer avec des mots, il n’y aurait aucune raison de peindre ». Que pensez-vous de cette citation d’Edward Hopper ?
Je suis d’accord. Et il en va de même d’ailleurs pour les films.
Aviez-vous vu la collection de films Hopper vu par… (Huit tableaux, huit réalisateurs, huit films) ? Et si oui qu’est-ce qui vous distingue dans votre approche de l’œuvre de Hopper par rapport à ce qu’avait réalisé Amalric, Bartes, Blanc, Fiennes, Mrejen, Pirson, Stohr et De Thurah ?
Oui, je les ai vus. Je pense que mon travail diffère du leur de façon évidente : c’est un long métrage, j’ai travaillé avec des artistes venant de nombreux univers (peinture, danse, musique, architecture, design) pendant sept ans. Et dès le début, le film a été appréhendé, non pas comme le projet d’un film, mais comme le un projet de copie, de reconstruction, de réinterprétation, de transformation artistique, exactement à la manière des peintures d’Edward Hopper.
L’une des particularités de Hopper, c’est sa lumière. À quel point était-ce difficile de la recréer ?
Edward Hopper ne suit aucune règle que ce soit pour la perspective ou pour la lumière. Avec la peintre Hanna Schimek, le chef opérateur Jerzy Palacz et Dominik Danner à la lumière, nous avons décidé de ne pas peindre les ombres et lumières, mais de les recréer avec des jeux de lumières. Pour chaque set, nous avions d’un jour à un jour et demi de travail juste pour la lumière. La lumière était clairement l’acteur principal.
Votre background d’architecte et celui de peintre de votre femme ont-ils aidé ?
Je n’aurai pas pu créer les meubles, chaque objet et penser la reconstruction des peintures en trois dimensions, si je n’avais pas été architecte. Et les talents d’Hanna Schimeks en tant que peintre a permis de l’identité des couleurs du films, ainsi que de peindre les paysages de fond derrière les fenêtres, ou les peintures accrochées aux murs dans les tableaux d’Edward Hopper en taille réelle.
Réaliser ce film vous a-t-il permis de découvrir des aspects de la peinture de Hopper qui vous avaient échappé jusqu’à maintenant ?
Je n’ai jamais étudié les tableaux d’un autre peintre aussi longtemps et je continue à découvrir de nouveaux aspects.
Hitchcock, Jarmush, Scorsese ou Wenders, beaucoup se sont dit influencés par Hopper. Lui-même inspiré par les films noirs des 30’s. Qui a-t-il de si cinématographique dans l’oeuvre de Hopper ?
Parce qu’il utilise une lumière cinématographique. Par exemple, il peut faire entrer la lumière par le plafond, comme dans un studio de tournage. Son cadre et ses angles sont aussi parfaitement cinématographiques. En plus de ça, il utilise des thèmes et des sujets issus des films noirs.
Y a-t-il, maintenant, d’autres peintres auxquels vous aimeriez vous attaquer ?
Je n’ai pas vraiment envie de me répéter, mais cela dit, Jan Vermeer pourrait m’inspirer. Il utilisait un instrument optique pour peindre, une Camera Obscura (chambre noire, ndlr). Comme Hopper, il travaillait sur les mêmes thèmes et les mêmes intérieurs toute sa vie.
Philippe Besson a écrit un livre, l’Arrière saison, en imaginant la vie des personnages du tableau Nighthawks. Pourquoi ne peut-on s’empêcher d’imaginer les personnages devant un tableau d’Hopper ?
À vous de me le dire ? Peut-être parce qu’il ne nous dit rien d’eux et qu’on peut s’identifier à eux.
Il y a toujours comme quelque chose en suspens dans ses tableaux, ce qui colle parfaitement avec l’image arrêtée de la peinture. Une fois mis en mouvements, ne perd-on pas cette sorte de respiration ?
Non. Mais comme je l’ai dit : ce film est une transformation, une métaphore d’un média à un autre. Il ne faut pas comparer les qualités spécifiques de chaque média.
Vous avez tout fait tout seul sur ce film. Était-ce une obligation budgétaire ou une envie de votre part ?
J’ai travaillé avec un large groupe d’artistes pour réaliser ce film. J’ai écrit le script, réalisé et monté le film. j’ai également travaillé sur la création des plateaux avec Hanna Schimek. Mais ça ne va pas dire que j’ai tout fait, loin de là, comme on peut le voir au générique.
Si il était encore vivant, qu’est-ce que penserait, à votre avis, Hopper de votre film ?
Il garderait son opinion pour lui.