Ses premiers livres nous avaient plongés dans les tabous féminins. Sexe et alcool en tête de liste. Nous avions dévoré ses pages qui ouvraient un monde inconnu, que l’on désirait autant qu’on le craignait.
L’année dernière, elle met en scène, Inconnu à cette adresse, au Théâtre Antoine, pour lequel elle reçoit le Globe de Cristal de la meilleure pièce de théâtre. Deux acteurs sur scène, qu’elle change régulièrement, pour une énergie maintenue, une relecture permanente. Pour que les mots ne meurent jamais.
Nous ne résisterons pas à l’envie de la rencontrer. Nous ne résisterons pas à son intelligence.
Pendant deux ans, elle dirige Gérard Darmon et Dominique Pinon, Thierry Frémont et Nicolas Vaude, Thierry Lhermitte et Patrick Timsit, Samuel Le Bihan et Bruno Solo, Richard Berry et Franck Dubosc, Stéphane Guillon et Gaspard Proust, Jean-Paul Rouve et Élie Semoun, Pascal Elbé et Stéphane Guillon, Michel Boujenah et Charles Berling, Charles Berling et Gérard Darmon, Jean Benguigui et Martin Lamotte, François Rollin et Ariel Wizman, Patrick Timsit et Tchéky Karyo, Thierry Frémont et Patrick Chesnais, Francis Lalanne et Dominique Pinon, Jean-Pierre Darroussin et Eric Elmosnino, Patrick Timsit et Thierry Lhermitte.
Une expérience unique pour une femme de théâtre en France.
Delphine de Malherbe a toujours vécu entourée d’hommes. Elles les observe, les analyse, les aime. Un besoin de parler d’eux s’installe. Son expérience auprès de ces grands acteurs rend le besoin trop prégnant. Les émotions doivent sortir.
À l’heure où les hommes vivent sort chez Plon ce 23 janvier.
Une telle écrivain qui se glisse dans la peau des hommes… nous avons la chance de lire le livre avant sa sortie. Coup de cœur.
« Quelle tyrannie d’être vivant quand on sait que ça se joue à une seconde près, qu’il n’y a pas de repos, qu’il suffit de regarder à gauche pendant que ça se passe à droite, et que les espoirs meurent au moment où l’on se trompe. »
Franck est un homme perdu. Un homme de son temps. Au milieu de femmes plus fortes que lui.
Un thème déjà vu, déjà lu. Mais jamais comme ici. Delphine de Malherbe évite toutes les caricatures. Pour la première fois, l’égoïsme de l’homme démontré par son ultra sensibilité. Et il fallait que ce soit une femme qui le dise.
Une sorte de Meursault. Sans prise sur son existence. Mais là où le personnage de Camus subit par désintérêt, par détachement, Franck, lui, subit par un trop plein d’intérêt, une volonté de comprendre trop forte. Omniprésente.
Pris entre une fille trop lucide pour être heureuse et une femme trop parfaite pour être satisfaite, Franck est le seul à se mentir à lui-même. Avec l’ambition comme seule réponse.
L’ambition, moteur atavique du phallus civilisé, est enfin décortiquée. Enfin comprise. Comme le mirage de réponse qu’elle apporte aux mouvements aussi effrénés qu’inutiles des hommes.
Une ambition qui s’exprime pleinement dans la sexualité masculine. Cette sexualité à laquelle on a refusé toute subtilité pendant des générations. Delphine de Malherbe lui rend ses nuances.
« L’imagerie masculine, quand elle se perd, réveille des profils féminins qui se superposent sans aucune antinomie. »
Dans ce livre, le sexe est omniprésent comme énergie freudienne. Une seule scène de sexe réel, pourtant. Elle intervient pendant que Franck explique la 6ème grande extinction biologique qui se déroule sous nos yeux. Le sexe reproductif, perpétuation de la race, comme réponse face à cette fin annoncée ? Non. Mille fois non. Mais bien la libido masculine, absurde, sans sens, face au néant. Et la scène finit sur ces mots : « Je dis que, la prochaine fois, je l’attacherai. Elle était trop entreprenante. Trop intelligente. j’avais besoin d’avoir du pouvoir sur elle. De la tenir. Attachée au mur. Attachée à moi. »
L’homme veut posséder. Une ambition sans fin. Un besoin qui a mené le monde là où il est. Alors que la femme reprend les rênes de l’humanité et que l’homme ira s’asseoir sur le banc des accusés, l’écrivain, ici, nous rappelle qu’il n’y avait là qu’une quête de réponse. Une quête de réponse dans un monde qui n’en a pas. « Instruis-nous de la vérité de ce monde qui est de n’en point avoir« , disait Camus.
À une époque où l’avenir est un concept flou, où il s’agit de trouver des solutions, nous comprenons pourquoi l’homme se perd. Ces êtres de « pourquoi » ne résisteront pas à la montée des femmes, ces êtres de « comment ».
Écrit par un homme, ce livre sonnerait comme une tentative d’explication, presque d’excuse de la gent masculine. Par une femme, il rassure comme la caresse d’une mère qui stoppe les larmes avant de recoller les morceaux d’une vie brisée.
Delphine de Maherbe prépare son premier film, avec Christophe Lambert.