En permanence chaussée de running, comme prête à partir, à fuir un potentiel enfermement. Un sourire tout aussi permanent, parce que l’intelligence a toujours la politesse de la pudeur. Un amour pour Tex Avery et Visconti. Un visage poupon et des yeux sans âge. Un paradoxe ambulant donc, au point d’avoir le cœur à Geoffroy Guichard et la tête à Gerland.
Cécile Coulon est l’une des plus belles promesses de l’avenir de la littérature française. Mais faut-il encore parler d’avenir ? Certes, la jeune fille fêtera ses 25 ans au printemps, mais elle a déjà publié cinq livres dont un dernier, Le coeur du pélican, toujours chez Viviane Hamy.
On l’a vue partout, à la télé, à la radio, il était donc temps qu’elle vienne toucher deux ou trois mots chez ses amis d’Apar.
J’ai lu ton livre il y a quelques semaines maintenant, et en y repensant, c’est étrange, mais c’est un sentiment d’étouffement pour le protagoniste que je ressens. Comme un type qui fuit en courant et repasse sans cesse au même endroit. Ou comme un bouquin de K. Dick où le personnage, à partir d’un détail, découvre que son monde n’est pas le sien.
Comme le film Un jour sans fin, avec Bill Murray. En moins drôle évidemment. Le problème du personnage, d’Anthime, c’est qu’il ne veut pas s’adapter au monde, il s’attend à ce que le monde s’adapte à lui.
Ton lire parle du poids des attentes, des désirs, du temps qui n’amène pas de réponse, du poids des désirs déçus… bref, de mille principes très longs. Or, tu n’as que 24 ans. Est-ce que tes sujets sont le fruits d’analyses rationnelles, ou es-tu dans un ressenti, une empathie, une sorte de sixième sens ?
Il y a une idée qui me plaît, celle de l’auteur comme un sismographe, capable, ou contraint, de ressentir des tremblements, parfois infimes, là où la surface est pourtant calme et limpide. La question est de savoir si l’on ignore ces vibrations, ou est-ce qu’on choisit de s’y intéresser. Parfois je m’en fous, parfois je m’y plonge, et dans ce dernier cas, ça donne généralement un roman.
Dans le Pélican, il n’y a aucun personnage que j’ai envie de sauver. Misanthrophe Cécile Coulon ?
Non. Lucide. On ne sauve pas les gens, ils se sauvent eux-mêmes. C’est l’histoire bien connue du noyé qui attire l’homme qui vient à sa rescousse au fond de l’eau.
Tous tes livres parlent de poids sur les épaules, de pièges, de secret. Comme ça, on se dit que tu as une enfance difficile en Tchétchénie alors que pas du tout. D’où te vient cette sorte de noirceur ?
Les pièges et les secrets ne sont pas forcément synonyme de noirceur. C’est plutôt fascinant. Et ce que j’aime, ce n’est pas forcément ce qui est caché, ou tu, ou inventé, c’est le pourquoi. J’aime bien gratter les croûtes et voir ce qu’il y a dessous. Je crois qu’on a tendance à confondre noirceur et profondeur, parce que descendre un peu, fouiller un peu, c’est s’affronter souvent à des événements qui nous échappent. Il ne s’agit pas de noirceur, mais de curiosité.
Est-ce que tu en as marre qu’on te demande d’où te vient ta noirceur ?
Non, c’est une question que je comprends, qui m’amuse, et que je trouve pertinente.
Au fil de tes livres, on retrouve beaucoup de thèmes communs, mais ton style évolue. Entre autre, vers un rythme beaucoup plus maîtrisé, presque une musicalité. Tu le ressens aussi ?
J’ai beaucoup de mal à avoir un avis objectif sur mon style, il m’arrive de me relire à haute voix pour voir ce qui change, où sont les fausses notes, les croches, les blanches et les noires, les points d’orgue, etc… Je crois que je veux toujours gagner en efficacité, alors je gomme au maximum, je me souviens de ce que m’a dit Olivier Barrot : « vous écrivez plus à la gomme qu’au crayon« , c’est vrai. On ne contrôle jamais ses personnages, ni son histoire, parcequ’elle appartient au lecteur après publication, il n’y a que le style qu’on peut déformer à sa guise, alors j’en profite.
On ne va pas mentir à nos lecteurs, on se connaît. Dans la vie, tu aimes les blagues potaches. Pourtant, dans tes livres, aucune vulgarité et pas de sexe du tout. Pourquoi ?
Le sexe fait partie des choses que je préfère vivre qu’écrire. Il n’y a pas de blague ou de vulgarité dans mes romans parce que c’est là que je mets, déguisés, bon nombre de mes questionnements, ce qui m’empêche d’être insupportable au quotidien à propos de ma petite personne. Je n’aime pas les gens qui font la gueule en permanence, les gens faussement déprimés (la vraie dépression, la maladie, c’est une horreur nerveuse qui va au-delà de tout ça), alors je garde le rire pour le quotidien, et les questions pour les livres, parce qu’en vérité, pour rire de tout, il faut éviter de se poser des questions, et surtout d’en poser aux autres.
Tu es très sportive. Tu prépares une thèse sur le sport et la littérature. Il y a un vrai retour du corps dans le chemin de vérité, qu’on note en littérature, je dirai depuis l’excellent Journal d’un corps de Pennac. Est-ce, enfin, la fin d’un mauvais côté du siècle des Lumières qui sépare corps et esprit, et méprise plutôt le premier ? Et un retour à des vertus enseignées sous la Grèce antique ?
De mon point de vue, la littérature est un des derniers espaces, peut-être même le dernier, où le corps peut être exprimé entièrement. Le fantasme quotidien du corps féminin et masculin proposé partout dans les médias a amputé le corps réel de ses odeurs, de ses textures, de ses mécanismes naturels. La littérature sportive, à travers le prisme de l’athlète, redonne au corps sa place que le fantasme occupe dans la réalité sociale.
Crois-tu à une vérité du corps ?
Je ne crois pas à la vérité, et je ne crois pas au corps comme concept. Les deux sont des objets qui changent de forme selon l’endroit où l’observateur se place.
On t’a vu partout pour ta promo. Taddei, Busnel, Field, Trappenard… Puis, tu es retournée chez toi, en Auvergne. Le choc n’est pas trop difficile ?
Ce n’est pas un choc, c’est une bénédiction ! La promo médiatique est un moment particulier, intense et éphémère. C’est ce côté éphémère qui me plaît : dans un ou deux mois quelqu’un d’autre aura pris ma place, et ça m’aide à retourner à mes romans.
Tu es une femme de paradoxes, ou en tout cas, de concepts antinomiques. La plupart des artistes le sont. Penses-tu que la vérité surgit des failles laissées ouvertes par les paradoxes ?
Je ne crois pas que la vérité « surgit », je crois qu’elle crée des failles. Nous sommes tellement confus, effrayés de ce que nous ressentons, que nous ouvrons des trappes en nous pour étouffer, cacher ce qui nous paraît impossible à vivre.
On parlait de l’Auvergne et tu sors aussi un très beau livre sur la campagne. La vraie. Quand tu entends la nouvelle mode écolo, baba, retour à la nature, qui magnifie la vie à la campagne, ça te fait quel effet, toi qui connais ?
Je suppose qu’on en parlera plus dans dix ans. C’est fou comme on aime catégoriser : d’un côté les ultra urbains, de l’autre les bouseux dans les hameaux. Il y a des mondes entre ces deux extrêmes, chacun y trouve la place qui lui convient.
Si tu continues comme ça, tu vas marquer l’histoire de ta région natale avant tes trente ans. Si tu avais le choix, tu aimerais qu’on donne ton nom à quel lieu à Clermont-Ferrand ?
Un caviste. Ou un stade.
Puisque tu es très éclectique, quels sont les artistes, tout domaine confondu, qui t’ont le plus marquée ?
Walt Disney, Tex Avery, Johnny Cash, Willy Deville, Stanley Kubrick, Joyce Carol Oates, Donna Tartt, Paula Radcliff, René Guy Cadou, Charles Bukowski…
Tu sais qu’en tapant ton nom dans Google, la première « recherche associée » qui apparaît c’est François Busnel. C’est la classe quand même ?
C’est sûr qui ça avait été Nadine Morano, je l’aurais mal pris.
Puisque je sais que tu aimes le foot : qui va remporter la Ligue 1 cette année ?
Dans mon coeur St-Etienne, dans ma tête Lyon.